MJPM : TOUS LES COUPS NE SONT PAS PERMIS

Cass. soc. 11 avril 2018, n° 16-24.749

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036829778&fastReqId=1387846492&fastPos=1

En 2008, une association tutélaire embauche une déléguée à la tutelle. Elle signe d’abord un contrat à durée déterminée à temps partiel puis, en 2011, un contrat à durée indéterminée à temps complet.

La réforme de la protection des majeurs portée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a modifié les conditions d’exercice des mesures de protection des majeurs que le juge des tutelles confie aux professionnels, désormais regroupés sous l’appellation de mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

La mandataire salariée décide de solliciter son agrément à titre individuel, ainsi que le permet l’actuel article L. 472-1 du code de l’action sociale et des familles. Elle est ainsi agréée en 2013 et, par suite, inscrite sur la liste, tout en poursuivant son activité salariée. Son employeur la licencie alors pour faute grave.

Les juges du fond prononcent la nullité de ce licenciement au motif qu’il ne peut y avoir de concurrence entre le service et la mandataire exerçant à titre individuel, parce que les mesures au titre du mandat spécial, de la curatelle, de la tutelle ou de la mesure d’accompagnement judiciaire sont confiées aux mandataires selon le choix du juge des tutelles. Pour les juges du fond, peu importe que l’employeur ait financé la formation donnant accès à l’agrément de la salariée pour l’exercice de l’activité en cause. Ils écartent également la clause du contrat de travail selon laquelle la salariée se voyait interdire de demander sa désignation à titre individuel. Sur ce point, les juges distinguent entre la demande « de désignation » et la demande « d’agrément« , ce qui est un peu « capillotracté », si l’on considère que l’employeur a précisément voulu empêcher la salariée d’exercer une activité qu’il considérait comme concurrente.

La Cour de cassation répond ici à la question de savoir si le cumul des modes d’exercice peut être reproché à la mandataire salariée et justifier un licenciement pour faute grave.

Elle répond par l’affirmative en cassant la décision des juges du fond. Selon la Cour, le fait, pour une salariée, de créer, tout en étant au service de son employeur et sans l’en informer, une activité libérale de mandataire judiciaire directement concurrente de la sienne, caractérise à lui seul un manquement à son obligation de loyauté constitutif d’une faute rendant impossible son maintien dans l’entreprise.

Les textes ont longtemps été silencieux sur cette question mais il existe désormais des règles encadrant le cumul entre l’activité de mandataire en qualité de salarié et à titre individuel.

La Cour de cassation se prononce sur une situation antérieure à ces textes. Antérieurement, le débat sur le cumul a fait l’objet d’un précédent article accessible ici : http://laurence-gatti.fr/?p=140

Depuis le décret 2016-1896 du 27 décembre 2016 pris pour l’application des articles 33 et 34 de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, le code de l’action sociale et des familles encadre le cumul des modes d’exercice. Désormais, une personne peut être à la fois salariée (ou préposée d’établissement) et exercer à titre individuel l’activité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs à condition de travailler à temps partiel, d’informer son employeur de sa demande et de la notification de son agrément, de mettre en place des moyens dédiés à son activité libérale, distincts de ceux mis en œuvre dans son activité salariée ou publique et d’assurer la continuité de sa mission.

Lorsque toutes ces conditions sont réunies, le nombre de mesures pouvant être confiées dans le cadre de l’exercice libéral est plafonné selon la quotité de travail salarié (voir sur ce point l’article R. 471-2-1 CASF https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=7DBC0E6A841FC64DC10DB7B8520282C2.tplgfr29s_3?idArticle=LEGIARTI000033740376&cidTexte=LEGITEXT000006074069&dateTexte=20180603&categorieLien=id&oldAction=&nbResultRech=).

Si l’idée de « concurrence » choque dans ce domaine, sauf à voir la protection des majeurs comme un « marché »… L’arrêt du 11 avril 2018 sanctionne le manquement à la loyauté mais pose trois conditions cumulatives pour le caractériser :

  1. être au service d’un employeur
  2. créer son activité de mandataire
  3. ne pas informer l’employeur

La solution ne devrait pas changer avec l’application des nouvelles dispositions. La « concurrence » est bien permise, mais à la condition de respecter les exigences réglementaires. A défaut, le licenciement pour faute grave est encouru.