Pas de consentement, pas de mariage.

Cass. 1re civ.,  2 décembre 2015, pourvoi n° 14-25.777.

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Il était une fois, en 1992… La rencontre d’un homme et d’une femme. Ils vivent ensemble et ont deux enfants. En 2008, l’homme est victime d’un accident sur la voie publique. Les lésions cérébrales causées par cet accident sont graves et nécessitent son maintien au sein d’un établissement spécialisé. Dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts, l’homme est placé sous le régime de la tutelle en 2009. Le juge des tutelles nomme alors comme tutrice sa concubine, conformément au principe de priorité familiale énoncé à l’article 449 du Code civil. Malgré un recours exercé par la famille, la tutrice ne se voit pas retirer la charge tutélaire. La tutrice souhaite se marier avec le père de ses enfants. Selon ses dires et les témoignages de son entourage, c’est là un projet notoirement poursuivi par le couple avant l’accident.

Le Code civil énonçant que « le mariage d’une personne en tutelle n’est permis qu’avec l’autorisation du juge » [1], elle sollicite donc l’autorisation d’épouser son protégé. Sa demande est rejetée par le juge des tutelles de Vanves [2] et elle relève appel de cette décision. Par arrêt en date du 15 janvier 2014, la Cour d’appel de Versailles [3] infirme l’ordonnance du juge des tutelles et autorise le mariage, au motif qu’une cellule familiale avait été constituée bien avant la survenance de l’accident et qu’il y avait effectivement un projet de vie commune. La Cour relève qu’il existe des liens et des conflits intrafamiliaux sur lesquels le mariage ne devrait pas avoir d’incidence. Pour la Cour d’appel, le mariage n’est non seulement pas préjudiciable aux intérêts du majeur mais, au contraire, vient à leur soutien en mettant à la charge de sa compagne des devoirs qui ne lui incombent pas en sa seule qualité de concubine. En tout cas, la Cour d’appel juge que les moyens invoqués par la famille ne constituent pas des empêchements à mariage. La mère et les sœurs du majeur protégé forment un pourvoi en cassation.

La mère exprime son opposition au mariage pour trois raisons. Elle avance, d’abord, que l’intéressé n’aurait jamais eu l’intention de se marier. Elle invoque ensuite un conflit avec la compagne, qui pourrait entraver les relations avec lui si elle devenait son épouse. Enfin, elle redoute que la compagne ne cherche à tirer un profit financier de la situation. La sœur, présente à l’audience, se dit opposée à ce mariage, qui serait sans intérêt pour son frère. Elle précise en outre qu’il ne peut pas y avoir communauté de vie entre les époux au regard de l’état de santé de son frère.

Le mariage d’un majeur sous tutelle est ainsi devenu l’enjeu d’un conflit familial qui a fini par oublier l’essentiel. Le mariage du majeur en tutelle, s’il ne peut être permis qu’avec l’autorisation du juge, ne peut exister que si le majeur exprime son consentement, d’une quelconque façon [4].

C’est ce que vient rappeler la Cour de cassation en cassant sans renvoi, au visa des articles 458 et 460 du Code civil. Selon la Cour, la requête présentée par la tutrice est irrecevable parce que le mariage implique un consentement strictement personnel et ne peut donc pas donner lieu à représentation.

La Cour de cassation étend ainsi la liste des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel, confirmant si besoin était la non-exhaustivité de l’article 458 du Code civil.

Elle rappelle avant tout que le majeur doit personnellement consentir à son propre mariage [5], ce qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond [6].

Le consentement va donc devoir être apprécié à deux reprises. La première fois, préalablement à l’autorisation qu’il conditionne, lors de l’audition par le juge des tutelles. Et la seconde fois lors de la célébration du mariage par l’officier de l’état civil. Dans cette affaire, l’état de l’intéressé paraît l’empêcher de consentir à son mariage dans la mesure où il est constaté qu’il ne peut pas communiquer et se trouve dans un état végétatif chronique.

Les conflits familiaux, les avantages pécuniaires, l’absence d’intérêt pour l’époux, sont autant d’éléments indifférents. On se marie selon son bon vouloir, sans forcément devoir y trouver « intérêt ». Les raisons du cœur l’emportent, encore faut-il que le cœur parle.

L’incidence que ce mariage aurait eu sur les relations entre le majeur et sa famille n’est que supposée. Le régime de la tutelle impose la liberté et se tourne vers le juge afin qu’il statue en cas de difficulté [7].

Quant-à la communauté de vie… Elle est bien autre chose que la simple cohabitation, dont elle peut d’ailleurs se passer, tant que dure la communauté affective [8]

Laurence Gatti

[1]              Art. 460, al.2 C. civ.

[2]              Tribunal d’instance Vanves, Juge des tutelles, 12 novembre 2012, n° 08/234.

[3]              CA Versailes, 2e chambre, 3e section, R.G. n°13/00281.

[4]              Art. 146 C. civ.

[5]              Cass. 1re civ., 24 mars 1998, Bull. civ. I, n° 124; D. 1999. 19, note J.-J. LEMOULAND; Defrénois 1998. 1398, obs. J. MASSIP; RTD civ. 1998. 658, obs. J. HAUSER.

[6]              Cass. 1re civ., 5 décembre 2012,D. 2012. 2699, obs. D. NOGUÉRO et J.-M. PLAZY; RTD civ. 2013. 93, obs. J. HAUSER.

[7]              Art. 459-2 C. civ.

[8]              Cass. 1re civ., 12 octobre 2011, pourvoi n° 10-21.914.