Le pouvoir de dire non

Le majeur protégé et le don d’organe post-mortem : l’
alibi de l’autonomie ?

Projet de loi relatif à la bioéthique (SSAX1917211L), art. 7.

Les personnes qui ne peuvent pourvoir seule à leurs intérêts en raison d’une altération de leurs facultés peuvent bénéficier d’une mesure de protection juridique[1].

Dans ce cadre, cinq mesures peuvent être mises en œuvre :

  1. La sauvegarde de justice
  2. La curatelle
  3. La tutelle
  4. Le mandat de protection future
  5. L’habilitation familiale

Ces mesures, ainsi que la mission du protecteur, prennent fin au décès de la personne protégée[2].

Une exception subsiste cependant à propos du don d’organe post-mortem dans le Code de la santé publique à l’article L.1232-2, al. 1.

Ce texte prévoit en effet que « si la personne décédée était un mineur ou un majeur sous tutelle, le prélèvement à l’une ou plusieurs des fins mentionnées à l’article L. 1232-1 ne peut avoir lieu qu’à la condition que chacun des titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur y consente par écrit ».

Cette disposition est à la fois discutable juridiquement et délicate éthiquement. Aussi, sa suppression est-elle envisagée majoritairement, sinon unanimement, comme une mesure de cohérence avec l’ensemble du dispositif. La mesure prend fin. Le tuteur n’a plus de mandat et son consentement n’est plus recherché.

Néanmoins, considérer que toutes les personnes majeures protégées sans distinction doivent entrer dans le droit commun du consentement présumé n’est respectueux ni de l’égalité ni de l’autonomie ni de la dignité de certaines d’entre elles.

Depuis la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs du 5 mars 2007, la « protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci »[3].

Si le régime des actes patrimoniaux est défini pour chaque mesure par référence aux principes déclinés dans un décret relatif aux actes de gestion[4], le régime des décisions personnelles est quant à lui le même quelle que soit la mesure de protection. Le corps de règles prévu pour la curatelle et la tutelle[5] s’applique aussi au mandat ordonné dans le cadre d’une sauvegarde[6], au mandat de protection future[7] et à l’habilitation familiale[8]. La doctrine parle d’un « régime primaire » en la matière.

Le cœur du droit commun de la protection se trouve dans l’article 459 du Code civil selon lequel « la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet ». Le principe fondamental de l’autonomie décisionnelle des personnes protégées est ainsi posé. L’assistance et la représentation ne sont qu’une possibilité en cas de nécessité. La représentation, surtout, ne doit être qu’une exception réservée aux situations extrêmes[9]. Elle requiert un jugement spécialement motivé, fondé sur l’alinéa 2 de l’article 459.

Se recommander de la non-discrimination pour soumettre au droit commun des personnes qui n’ont jamais pu ou ne peuvent pas ou plus exprimer leur volonté est un contresens.

La Convention internationale des droits des personnes handicapées affirme l’égalité mais admet aussi les « mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées »[10].

Or le droit en cause ici n’est pas celui de consentir au don d’organes : il ne peut être menacé a priori puisque le consentement est présumé pour tous si l’on ne fait rien.

Le droit en cause ici est le droit de dire non.

Toute personne majeure ou mineure âgée de treize ans peut s’inscrire sur le registre national automatisé des refus de prélèvement[11]. La personne majeure protégée peut donc s’inscrire sur ce registre. Elle peut le faire seule et on pourrait éventuellement imaginer qu’elle bénéficie pour cela de l’assistance de la personne chargée de sa protection, encore que cela se discute si l’on considère qu’un tel acte requiert un consentement strictement personnel et est donc exclu du champ de l’assistance et, a fortiori, de la représentation[12]. On peut toutefois utilement prévoir un accompagnement pour l’accomplissement de cette démarche (une aide concrète et non un renfort juridique).

Du vivant de la personne protégée, l’inscription ne pose pas, selon le droit déjà en vigueur, un problème de droit : elle est une question de fait qui dépend de l’aptitude à élaborer un choix.

Si la représentation en matière personnelle est strictement appliquée, elle ne peut l’être qu’à des personnes dans l’impossibilité de fait d’exprimer une volonté[13].

Par conséquent, ces personnes ne peuvent aucunement exprimer leur refus. Elles ne peuvent donc pas exercer leur droit de s’inscrire sur le registre et cette incapacité de fait devient une incapacité de jouissance – sauf à permettre une représentation par le tuteur, discutable-.

C’est pour cette raison que le Sénat avait adopté l’amendement présenté par B. JOMIER (COM-249) excluant le prélèvement post-mortem sur ces seules personnes (celles bénéficiant d’une « représentation à la personne »), précisant que le tuteur ne devrait pas pouvoir procéder à l’inscription au registre, celle-ci étant un acte éminemment personnel. Ici, la personne chargée de la protection n’entre pas : ni du vivant de la personne, ni après son décès. Et nul ne prend de décision dans un but altruiste étranger à la protection de la personne vulnérable.

La Commission du Sénat a « refusé d’appliquer le régime du consentement présumé en matière de prélèvement d’organe post mortem à tous les majeurs protégés, considérant que le consentement éclairé des personnes faisant l’objet d’une mesure de protection avec représentation à la personne ne peut être présumé »[14].

Le texte voté par le Sénat est le seul à garantir que les personnes les plus vulnérables ne deviennent pas des réservoirs d’organes faute de pouvoir exprimer un refus, ce qui ne les place pas en situation d’égalité avec les autres, au contraire.

Car il faut justement distinguer ici : soit on peut exprimer une volonté, un choix, un avis ou une préférence et leur respect s’impose. Soit on ne le peut pas et l’on bénéficie pour cette raison et à titre tout à fait exceptionnel d’une représentation pour ses décisions personnelles et, dans ce cas, le consentement ne peut pas être présumé, s’agissant d’une atteinte portée à l’intégrité du corps, dans un but autre que la poursuite de l’intérêt de la personne protégée.

La distinction existe du vivant de la personne et doit demeurer au-delà, sauf à trahir son identité et sa particulière vulnérabilité.

En filigrane, le ministre O. VERAN et la députée C. FIAT, relisant l’avis du Conseil d’État, suggèrent que l’inscription pourrait être faite du vivant de la personne.

Le Conseil d’État n’exclut certes pas l’assistance, – considérant ainsi que l’acte ne relève pas du régime des actes strictement personnels (…) – mais il ne vise pas pour autant la représentation, pourtant en cause dans l’article 7[15].

Contrairement à ce qu’affirme O. VERAN, c’est parce que l’on ne peut précisément pas « créer les conditions de recueil du refus » qu’il faut se garder de présumer le consentement.

Ainsi que l’a rappelé M.-N. BATTISTEL, rapporteure, « effectuer des prélèvements dans ces conditions ne serait pas respectueux de leur personne ».

La motivation véritable a été rappelée in fine par A. BERGE : « nous voulons faciliter le don d’organe […] Des hommes et des femmes attendent d’être sauvés et de pouvoir revivre sereinement. Nous avons là une occasion de clarifier la situation »[16].

On chercherait vainement ici en quoi « cette mesure accroit le pouvoir décisionnel » ou « participe au renforcement de l’autonomie de la personne protégée et à la prise en compte de sa volonté »[17], alors même qu’elle est ici exploitée dans un but altruiste sans même avoir pu en concevoir le choix.

Poitiers, le 4 août 2020


[1] C. civ., art. 425.

[2] C. civ., art. 418, 443, 483, 494-11.

[3] C. civ., art. 415.

[4] Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil.

[5] C. civ., art. 457-1 et s. : « Sous-section 4 : Des effets de la curatelle et de la tutelle quant à la protection de la personne ».

[6] C. civ., art. 438.

[7] C. civ, art. 479.

[8] C. civ., art. 494-6.

[9] Défenseur des droits, Rapport sur la protection juridique des majeurs vulnérables, septembre 2016 p. 16 : « la question reste entière pour ce qui concerne les situations dans lesquelles une personne, même accompagnée, serait dans l’incapacité totale d’exprimer sa volonté ou ses préférences (ex : coma, démence sénile) et ne pourrait donc exercer ses droits. Force est de constater que la Convention reste totalement muette sur ce point ».

[10] CIDPH, art. 5.

[11] CSP, art. R1232-6.

[12] C. civ., art. 458 (exposant une liste d’actes non exhaustive).

[13] Parce que c’est précisément l’indication de la représentation en matière personnelle : « il est impossible de supprimer tout système de représentation à l’égard de ceux de nos concitoyens qui sont dans l’incapacité de s’exprimer et d’agir » (Rapport de mission interministérielle, L’évolution de la protection juridique des personnes, 2018, p. 43 p. ex.).

[14] Sénat, Rapport n° 237 (2019-2020) de Mmes Corinne IMBERT, Muriel JOURDA, MM. Olivier HENNO et Bernard JOMIER, fait au nom de la commission spéciale, déposé le 8 janvier 2020.

[15] Conseil d’État, avis du 18 juillet 2019, NOR : SSAX1917211L.

[16] Assemblée nationale, Première séance du vendredi 31 juillet 2020.

[17] Pourtant annoncé par l’étude d’impact du 23 juillet 2019.