Le protégé et le financier : petite allégorie d’automne.

CA Riom, 3e ch., 14 octobre 2015, R.G. n° 14/01326, JurisData : 2015-023912.

Moneychangerrembrandt

Un homme âgé de 35 ans est placé sous curatelle renforcée. L’exercice de cette mesure est confié à un service mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Le 10 décembre 2009, le juge des tutelles allège la mesure, la transformant en curatelle simple. Dès le 16 janvier 2010, le curateur informe la banque de cette modification. Ce faisant, il précise à la banque que, si le majeur retrouve sa capacité à gérer seul ses comptes chèques, les comptes de placement restent quant à eux gérés avec son assistance. néanmoins, la banque délivre ensuite au majeur une carte bancaire qui, si elle permet les retraits aux distributeurs automatiques, permet aussi de retirer les fonds déposés sur les comptes de placement. Le majeur protégé voit en cette carte un bel atout dont il ne tarde pas à user, retirant au total une somme de plus de 7 500 euros. Le curateur s’en aperçoit et demande à la banque de bien vouloir restituer les fonds dilapidés par sa faute. La banque – comme souvent en pratique – fait de la résistance.

Le curateur assigne la banque devant le tribunal d’instance afin d’obtenir le remboursement des sommes retirées sans son assistance. Le tribunal fait partiellement droit à sa demande. Il admet en effet la responsabilité de la banque, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, mais limite le remboursement à un sixième du montant réclamé [1].
Le majeur, assisté de son curateur, interjette appel.

Il entend faire respecter l’article 467 du C ode civil, aux termes duquel

« la personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille ».

Un prélèvement sur le capital étant un acte de disposition [2], la signature du curateur, manifestant l’assistance, était requise.

L’intimé refuse toute condamnation en l’absence de faute de sa part et en l’absence de préjudice subi par le majeur protégé. Il expose en outre que le curateur a été négligent car il aurait pu constater plus tôt l’existence des retraits litigieux (et limiter le dommage, dans la mesure où il était destinataire des relevés des opérations effectuées). Selon l’intimé, un défaut de surveillance peut être ainsi reproché au curateur. Par ailleurs, si l’acte est annulable [3], il

« ne peut être annulé que s’il est établi que la personne protégée a subi un préjudice »,

ce qui est contesté, au motif que le majeur a profité des sommes retirées.

La question posée à la Cour d’appel est de savoir si la banque commet une faute en remettant une carte bancaire assortie de services donnant accès aux comptes de placement à un majeur protégé ayant justement perdu la capacité juridique de les faire fonctionner sans l’assistance de son curateur.

La Cour d’appel répond par l’affirmative en condamnant la banque à rembourser la totalité des sommes retirées au mépris des règles de la gestion tutélaire, qu’elle « ne saurait ignorer ».
En méconnaissant ces règles, la banque a compromis la conservation de l’épargne et a donc porté atteinte aux intérêts matériels du majeur protégé.
Le préjudice doit être intégralement réparé, à hauteur de la totalité des sommes dilapidées.

Moralité :
Qui détient les cent écus d’un tiers
A bien du souci à se faire…

Laurence Gatti

[1]              Tribunal d’instance de Moulins, 14 mars 2014, R.G. n° 11-13-000252.

[2]              Sauf circonstance d’espèce, selon le Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil

[3]              Sur le fondement de l’article 465 C. civ.