Avis n° 15015 du 6 décembre 2018, Cour de cassation, 1re Chambre civile (Demande d’avis n° W 18-70.011). ECLI:FR:CCASS:2018:AV015015 : https://goo.gl/h7513P
L’exercice d’une activité professionnelle en qualité d’entrepreneur peut se faire en qualité d’entrepreneur individuel ou dans le cadre d’un groupement de personnes ou de capitaux.
L’avis rendu ce 6 décembre par la Cour de cassation apporte enfin des réponses sur une question ancienne, ici formulée comme suit : « Un majeur bénéficiant d’une mesure de protection judiciaire d’assistance (curatelle simple ou renforcée) peut-il exercer une activité commerciale, artisanale ou libérale sous la forme d’autoentreprise ? ».
La Cour rappelle que le code de commerce ne règle pas la situation des majeurs protégés et que le code civil est muet sur celle du majeur sous curatelle. Il ne l’est pas, toutefois, sur la situation du majeur en tutelle.
L’interdiction en tutelle. – Par principe, le majeur sous tutelle ne dispose pas du droit d’exercer le commerce. Cela résulte des textes antérieurs avant la réforme (ancien art. 487) sur lesquels la réforme n’a pas entendu revenir, ce qui est dommage[1]. Si le majeur est inscrit au RCS, le tuteur doit donc demander sa radiation. A défaut, l’incapacité commerciale ne sera pas opposable aux tiers[2].
Des textes spéciaux existent. Un majeur sous tutelle, comme un mineur, ne peut pas, par exemple, exercer la profession de débitant de boissons. Il est écrit que les majeurs protégés ne le peuvent pas « par eux-mêmes ». La gérance peut donc être confiée à un tiers (CSP, art. L. 3336-1).
Le majeur sous tutelle est frappé d’une incapacité d’exercice générale, ce que l’article 509 du code civil vient renforcer, en fixant des limites aux pouvoirs du tuteur : le tuteur ne peut, même avec une autorisation, « exercer le commerce ou une profession libérale au nom de la personne protégée ». Il n’est pas écrit que le majeur ne peut pas, il est écrit que le tuteur ne peut pas. On redoute des risques important et on veut écarter tout conflit d’intérêts.
Pour la profession libérale, l’intuitus personae qui préside à la relation avec le client justifie l’exclusion de la représentation (le tuteur du médecin n’ira en effet pas soigner les patients). Mais le majeur peut-il pour autant exercer la profession libérale ? En théorie non, puisqu’il est représenté pour l’ensemble de ses actes. Il est frappé d’une incapacité d’exercice générale. Pour le commerce, le principe est qu’il découle de la règle que, si un fonds de commerce est dans le patrimoine du majeur en tutelle, il faut le vendre ou en confier la gérance libre à un tiers.
On pourrait tout de même envisager de solliciter le juge des tutelles sur le fondement de l’article 473, al. 2 du code civil : « Toutefois, le juge peut, dans le jugement d’ouverture ou ultérieurement, énumérer certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire seule ou avec l’assistance du tuteur ». Si le majeur peut exercer une activité, il paraît surtout plus pertinent d’alléger la mesure an sollicitant du juge le prononcé d’une curatelle en remplacement de la tutelle.
Mais… quelle est la situation en curatelle ? La controverse est ancienne et la Cour de cassation vient enfin de prendre position (il faut louer le tribunal d’instance de Nogent-sur-Marne de lui avoir posé cette question).
La controverse en curatelle. – Les discussions subsistaient malgré la réforme de 2007. Certains auteurs se sont exprimés en faveur de la capacité du majeur en curatelle d’être commerçant[3].
L’article 509 figure dans une partie du Code consacrée à la tutelle : Livre Ier : Des personnes. Titre XII : De la gestion du patrimoine des mineurs et majeurs en tutelle. Chapitre Ier : Des modalités de la gestion. Section 2 : Des actes du tuteur. Paragraphe 3 : Des actes que le tuteur ne peut accomplir.
Il semble d’emblée discutable de ne pas différencier tutelle et curatelle : ce n’est pas l’esprit de la loi de 2007, qui a proposé de savantes gradations des règles pour proportionner et individualiser les mesures. On veut protéger le protégé contre les actes dangereux et contre les conflits d’intérêts. Si c’est le majeur sous curatelle qui agit, ce n’est donc pas son curateur. L’argument du conflit d’intérêts semble alors écarté.
On pouvait être en faveur de l’application de l’article 509 du code civil à la curatelle et considérer que l’activité était interdite. En faveur de l’interdiction d’exercer le commerce, on peut remarquer que certains actes visés par l’article 509 sont expressément autorisés en curatelle (c’est le cas de la fiducie). On pouvait donc en déduire que les autres actes restaient interdits, faute d’avoir été expressément permis pour éluder l’interdiction de l’article 509.
On pouvait aussi soutenir que l’article 467 ne renvoyait qu’à l’article 505[4], non à l’article 509, ce qui laissait la voie ouverte à l’activité commerciale du majeur en curatelle. L’article 467 du code civil renvoie au règles de la tutelle pour la détermination des pouvoirs : « La personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille ». Pour les actes de disposition, l’assistance du curateur est ainsi imposée. Les actes interdits en tutelle le seraient aussi en curatelle puisque l’assistance ne permet de faire que les actes ouverts au tuteur. Il a pu être admis qu’un majeur sous curatelle exerce le commerce, à condition d’être assisté. Ce qui rendait la chose impossible non en droit, mais en fait, faute de pouvoir assurer une assistance de tous les instants.
L’éviction de l’article 509 apparaissait comme le seul moyen de permettre une adaptation, une évolution de la situation, voire, à terme, de la mesure de protection.
Le maintien des solutions antérieures à la réforme. – Les rapports parlementaires ont indiqué que la loi de 2007 ne modifiait pas les règles sur l’interdiction des actes posée par l’article 509 : « cet article désigne les actes qui sont exclus de la gestion tutélaire. Il maintient le droit en vigueur, en regroupant des dispositions du code civil actuellement éparses (…) Il est en outre interdit au tuteur de se substituer au tutélaire pour exercer le commerce ou une profession libérale (3°). Cette disposition reprend une règle actuellement prévue par l’article 487 du code civil»[5]. Or l’article 487 ancien énonçait que le mineur émancipé ne peut être commerçant. Ce texte était appliqué aux majeurs par le renvoi opéré par l’ancien article 495, lequel prévoyait l’application des règles prescrites pour la tutelle des mineurs, sauf concernant l’éducation.
L’avis de la Cour de cassation du 6 décembre 2018. Avec cet avis, la Cour répond à la question de savoir si le majeur en curatelle peut légalement exercer le commerce, une activité libérale ou commerciale. Le principe qu’elle rappelle immédiatement est que, « dans le silence ou l’ambiguïté des textes, ceux-ci doivent être interprétés dans un sens favorable à la capacité de la personne protégée ». Elle écarte l’application de l’article 509 qui pose cette interdiction en tutelle pour en déduire « qu’aucune disposition n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce ». Cela résout la question de la base légale, sur laquelle de nombreux mandataires et magistrats s’interrogeaient depuis longtemps, surtout depuis la création du régime de l’autoentreprise, aujourd’hui microentreprise, qui incite à la création par la simplification des formalités. Mais la Cour précise aussitôt que la personne en curatelle « doit, aux termes de l’article 467 précité, être assistée de son curateur pour les actes de disposition ». On se trouve de nouveau face à la question concrète qui est celle de savoir comment, en pratique, on va pouvoir procéder. En curatelle renforcée, le curateur « perçoit seul les revenus de la personne en curatelle sur un compte ouvert au nom de cette dernière »[6]. Il y a là une représentation, limitée à la perception des revenus. Donc soit il faut prononcer une curatelle simple, soit il faut faire application de l’article 471 du code civil pour aménager clairement la mesure, ce à quoi invite la Cour de cassation en précisant que, « selon les cas, il pourra être fait application de l’article 471 du code civil, qui prévoit qu’à tout moment, le juge peut, par dérogation à l’article 467, énumérer certains actes que la personne en curatelle a la capacité de faire seule ou, à l’inverse, ajouter d’autres actes à ceux pour lesquels /’assistance du curateur est exigée ».
Le refus qui aurait pu être opposé dans le doute du régime applicable peut ainsi être écarté. Le recours au CESU permettait, en fait, de contourner la difficulté dans certains cas. C’est maintenant un barrage qui se lève.
Si le curateur constate qu’à l’occasion de son activité, la personne compromet gravement ses intérêts, il pourra toujours saisir le juge des tutelles pour un nouvel aménagement de la mesure ou sur le fondement de l’article 469 du code civil pour être autorisé à accomplir seul un acte déterminé, (comme procéder aux déclarations…) ou provoquer l’ouverture de la tutelle, mais seulement dans les cas extrêmes.
[1] Gosselin-Gorand, « L’incapacité commerciale », JCP N 2008.
[2] Pour autant, ce n’est pas parce que l’on ne peut pas, en droit, exercer le commerce qu’on échappera aux sanctions si on l’exerce en fait. Cass. civ. 2e, 20 janv. 2012, n° 10-27.127.
[3] D. Guével notamment.
[4] « Le tuteur ne peut, sans y être autorisé par le conseil de famille ou, à défaut, le juge, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée. / L’autorisation détermine les stipulations et, le cas échéant, le prix ou la mise à prix pour lequel l’acte est passé. L’autorisation n’est pas exigée en cas de vente forcée sur décision judiciaire ou en cas de vente amiable sur autorisation du juge./L’autorisation de vendre ou d’apporter en société un immeuble, un fonds de commerce ou des instruments financiers non admis à la négociation sur un marché réglementé ne peut être donnée qu’après la réalisation d’une mesure d’instruction exécutée par un technicien ou le recueil de l’avis d’au moins deux professionnels qualifiés./En cas d’urgence, le juge peut, par décision spécialement motivée prise à la requête du tuteur, autoriser, en lieu et place du conseil de famille, la vente d’instruments financiers à charge qu’il en soit rendu compte sans délai au conseil qui décide du remploi ».
[5] Rapport n° 212 (2006-2007) de M. Henri de Richemont, fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 février 2007.
[6] C. civ., art. 472.