Isolement et contention en psychiatrie : un îlot hors contrôle ?

En droit positif, si les décisions d’admission en soins psychiatriques sans consentement sont soumises au contrôle du juge, les mesures d’isolement et de contention qui peuvent être prises dans ce cadre sont de la compétence exclusive du médecin.

2020-844 QPC

Par un arrêt du 5 mars 2020 (aff. n° 19-40.039 https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/2020-03/2020844qpc_saisinecass.pdf), la première chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution de l’article L. 3222-5 1 du Code de la santé publique, en ce qu’il ne prévoit pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d’isolement et de contention mises en œuvre dans les établissements de soins psychiatriques.

Une personne protégée bénéficiant d’une mesure de curatelle a été admise en soins sous contrainte à la demande d’un tiers. En application de l’article L.3211-12-1 du Code de la santé publique, le juge des libertés et de la détention a été saisi par le directeur de l’établissement pour permettre la poursuite de l’hospitalisation complète. A cette occasion, le patient a posé une question prioritaire de constitutionnalité.

L’article L.3222-5-1 du Code de la santé publique énonce que « l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin ».

Le 21 novembre 2019 (n°19-20.513), la première chambre civile de la Cour de cassation avait jugé que les mesures d’isolement et de contention constituaient « des modalités de soins », comme telles ne relevant pas de l’office du juge des libertés et de la détention, ce juge s’attachant à la « seule procédure de soins psychiatriques sans consentement pour en contrôler la régularité et le bien-fondé ».

Ces mesures sont-elles, ne sont-elles véritablement que des modalités de soins, des actes médicaux devant nécessairement échapper à tout contrôle, comme le soutiennent le Centre Hospitalier de Saint-Germain-en-Laye et le représentant du Premier Ministre ? La délimitation des compétences respectives du juge et du médecin est en jeu ici. Le juge n’est pas un médecin, le médecin n’est pas tout-puissant et la judiciarisation de la médecine, si elle n’est pas un mythe, n’est pas sans danger.

Ni les mesures d’isolement ni la contention qui peuvent être décidées à l’occasion des soins ne sont définies par la loi. Selon la Haute autorité de santé, l’isolement est « le placement du patient à visée de protection, lors d’une phase critique de sa prise en charge thérapeutique, dans un espace dont il ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients » et la contention, qui peut être physique ou mécanique, est l’immobilisation ou la limitation des « capacités de mobilisation volontaire de tout ou partie du corps dans un but de sécurité pour un patient dont le comportement présente un risque grave pour son intégrité ou celle d’autrui» (HAS, Recommandation Isolement et contention en psychiatrie générale, février 2017). La prévention des abus n’est portée préventivement que par cette recommandation, dont la valeur n’est pas légale et dont l’efficacité, par suite, est mise en doute.

Seul l’article L.3222-5-1 traite de ces pratiques et fixe des critères. Pour autant, aucun texte ne prévoit un recours juridictionnel autonome, qui viendrait utilement compléter le recours en matière d’admission ou de maintien.

La force du droit souple est ici interrogée. Les bonnes intentions, les recommandations, les chartes, etc. peuvent-elles suffire, faut-il s’en contenter ? Est-il admissible que les libertés puissent être atteintes sans qu’un juge puisse exercer un contrôle ?

En quoi l’exclusion du contrôle s’impose-t-elle ? Les critères posés par l’article L.3222-5-1 sont-ils médicaux ? Il est possible de vérifier qu’aucune autre mesure ne pouvait être prise utilement, qu’il y avait un risque de dommage, que la décision a bien été prise par un psychiatre, que sa durée est limitée ou qu’une surveillance est organisée, de la même façon que les juges peuvent vérifier le respect de la procédure collégiale d’arrêt des traitements sans s’aventurer sur le terrain médical.

La protection évince-t-elle le contrôle ? La protection juridique des majeurs fait la démonstration du contraire.

En quoi un contrôle serait-il justifié ? Parce que des libertés fondamentales sont en cause et que les abus ne sont pas une vue de l’esprit, ainsi que le rappelle la représentante de l’Association Avocats Droits et Psychiatrie (V. Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, 2016 et depuis, not., Recommandations en urgence du 1er février 2018 de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté relatives au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne (Loire), JORF 1er mars 2018, NOR : CPLX1805177X).

Si le juge des libertés peut être saisi à tout moment aux fins de mainlevée d’une mesure de soins sans consentement, la loi ne lui donne pas compétence pour apprécier les mesures prises dans ce cadre et, surtout, le recours est bien théorique.

Comment, en effet, imaginer que l’exercice des droits peut être effectif lorsque la personne est empêchée de communiquer avec l’extérieur ou qu’elle est attachée par les quatre membres, sans système d’appel (devant parfois faire ses besoins sur elle, comme le rapporte le CGLPL) ?

La consultation du registre, qui n’existe d’ailleurs pas toujours, est un bouclier bien illusoire contre les abus, ainsi que le souligne, à l’occasion de cette affaire, Maître Panfili, au nom du Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA).

Le juge judiciaire est sans moyen d’agir, faute de compétence. La loi lui barre le passage. Le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, lèvera-t-il l’obstacle ? Réponse le 18 juin 2020.