Lieu de résidence du majeur protégé : petite comptine de l’article 459-2.

Cour de cassation, première chambre civile, 13 décembre 2017, pourvoi n°17-18.43. http://bit.ly/2ytV6QW

Une tutelle. A la suite d’un accident de la circulation qui l’a placé dans un état de tétraplégie et de complète dépendance, Vincent L. a fait l’objet de plusieurs procédures largement médiatisées. Son épouse a été désignée « en qualité de tutrice pour le représenter dans l’administration de ses biens et la protection de sa personne » (ce qui mériterait des développements et/ou précisions), cette mesure ayant été confirmée par la Cour de cassation (Civ. 1re, 8 décembre 2016, pourvoi n° 16-20.298).

Deux requêtes. Dans le cadre de cette mesure, deux requêtes ont été successivement soumises au juge des tutelles par des membres de la famille de Vincent L. La première requête visait à permettre son transfert dans un autre établissement hospitalier et la seconde à lui rendre visite.

Le juge a déclaré la demande irrecevable et n’a pas autorisé la consultation du dossier du majeur protégé. Les magistrats de la Cour d’appel, tout en confirmant la décision sur les visites et sur la consultation du dossier, déclarent néanmoins la demande de transfert recevable, même si c’est pour la rejeter.

Trois moyens. Sur la question des visites, les demandeurs au pourvoi reprochent à l’arrêt un défaut de motivation. Faute d’avoir constaté des difficultés, l’arrêt se contente selon eux de motifs généraux. Ils lui reprochent également de n’être pas revenu sur le refus de consultation du dossier qui leur avait été opposé, violant ainsi, notamment, l’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme…

Trois réponses. La Cour de cassation rappelle que la décision portant sur la consultation du dossier est une mesure d’administration judiciaire, par suite non sujette à recours.

La Cour juge aussi que sont remplies les conditions de l’article 459-2, qui prévoit que le juge des tutelles peut, en cas de difficulté, organiser les relations personnelles de la personne protégée avec tout tiers, parent ou non. En effet, elle retient que les contestations sur les décisions d’organisation du service hospitalier et les conflits familiaux constituent bien des difficultés permettant son application et rappelle que l’appréciation des juges du fond est souveraine. Ils ont en l’espèce motivé leur décision, tenant compte notamment du bien-être du patient, des contraintes organisationnelles et professionnelles du service hospitalier et de la préservation des liens familiaux.

Mais ce qui retiendra l’attention est que la Cour relève d’office le moyen qui emporte la cassation. Au visa des articles 459-2 et 459, alinéa 3, du code civil et L. 1110-8 du code de la santé publique, elle précise que le libre choix du médecin est exercé par le tuteur « dans le cas d’un majeur représenté » (le juge des tutelles avait-il spécialement confié ce pouvoir de représentation sur le fondement de l’article 459, alinéa 2 du code civil, autrement que par cette formule si -trop ?- générale reproduite encore si -trop ?-mécaniquement dans les jugements de première instance -« pour le représenter dans l’administration de ses biens et la protection de sa personne »- ?). Et la Cour de combiner adroitement les articles 459-2 et 459 pour évincer le premier et en déduire l’irrecevabilité de la demande présentée par la famille. En application de l’article 459-2, tout intéressé peut en effet saisir le juge pour statuer sur le lieu de vie, les visites ou l’hébergement. Mais en application de l’article 459, seul le tuteur « auquel a été confiée une mission de représentation du majeur pour les actes relatifs à sa personne » (il le serait donc effectivement) peut saisir le juge lorsque la décision a pour effet de porter gravement atteinte à l’intégrité corporelle de la personne protégée ou à l’intimité de sa vie privée. Or ici, l’une ne va pas sans l’autre parce que solliciter le transfert est un acte grave au regard de l’état de santé du majeur protégé. Par conséquent, l’action est réservée au tuteur. Il faut donc distinguer entre choix du lieu de vie (relevant de l’art. 459-2 C. civ.) et choix de l’établissement de santé (relevant de l’art. L. 1110-8 C. santé publ., combiné avec l’art. 459 C. civ.).

Une question. Si les faits de l’espèce peuvent expliquer cette décision, on peut s’interroger sur sa portée à l’égard de l’article 459-2 lorsque le majeur protégé est représenté en matière personnelle. La représentation ne devant être décidée que dans des cas extrêmes (si l’on veut appliquer la loi conformément à la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées), l’état de santé des personnes représentées ne devrait pas, par hypothèse, être meilleur que celui de Vincent L. Si le législateur n’a pas prévu de restriction pour l’application de l’article 459-2, portant spécialement sur la résidence et les relations du majeur protégé, sa combinaison judiciaire avec l’article 459, comme par une triste ironie du sort, aboutit à créer sa paralysie.